9

 

Le bruit de la sonnette la fit sursauter. Elle n’aurait su dire depuis combien de temps elle attendait.

— Ri-Richard ?

On sonna encore une fois à la porte. Elle avait parlé trop bas pour que son visiteur l’entende. Elle prit une profonde inspiration, retint son souffle, s’accordant quelques secondes de répit entre deux frissons.

— Richard ! l’appela-t-elle.

— Je suis là. Ouvrez la porte !

— Elle est ouverte.

L’homme d’affaires entra et baissa les yeux.

— Merde, lâcha-t-il.

Il referma la porte derrière lui, puis se pencha et la souleva de terre sans effort apparent.

— Il y a combien de temps que cela dure ? demanda-t-il en déposant la jeune femme sur le canapé.

— De-depuis que je suis réveillée. Vers 9 heures.

— Il fait plus chaud ici qu’au Sahara, remarqua-t-il, l’air sombre.

Richard arracha la couverture à Sweeney et lui enleva son jean.

— Eh ! protesta-t-elle.

Difficile cependant de paraître indignée quand on claque des dents.

— Ne discutez pas, dit Richard, en lui ôtant son sweat-shirt.

Sweeney ne portait pas de soutien-gorge. Ses mamelons étaient érigés et elle tenta de les cacher en posant aussitôt ses mains sur ses seins. Elle se ravisa ensuite, jugeant plus urgent de serrer ses bras autour d’elle, dans l’espoir de se réchauffer. Un bâillement lui échappa.

— Ne vous endormez pas surtout ! lui ordonna son compagnon.

— D’accord, promit-elle, doutant d’y parvenir.

Richard entreprit de se dévêtir, puis il allongea Sweeney sur le canapé et se coucha sur elle. Il la serra dans ses bras.

— Ça va aller, murmura-t-il.

Sentant les frissons convulsifs de la jeune femme, il tira la couverture sur eux.

Le milliardaire couvrit les pieds de sa compagne avec les siens, plaça une main sous sa nuque. Une douce tiédeur enveloppa Sweeney, pénétra sous sa peau, la réchauffa jusqu’aux os. Elle ne tremblait plus.

Elle était presque nue, ne portant plus qu’une petite culotte et des chaussettes, Richard avait gardé son caleçon, mais son pénis en érection cherchait l’entrejambe de la jeune femme. Une chaleur d’un autre genre gagna celle-ci. D’instinct, elle ouvrit les cuisses et se frotta contre lui. Elle éprouvait le besoin animal d’être prise. Richard Worth lui caressa longuement les seins, en mordilla les pointes. L’artiste gémit de plaisir. Quand il la sentit prête à jouir, Richard lui agrippa les fesses et la fit aller et venir sur sa virilité jusqu’à ce que sa jouissance s’exprime dans un cri – qu’il étouffa d’un baiser.

Lorsqu’elle retrouva ses esprits, Sweeney s’aperçut, éberluée, qu’elle transpirait. Son corps luisait de sueur. Peu à peu, les battements de son cœur s’apaisèrent. Richard la caressa tendrement et cala sa tête dans le creux de son bras.

— Dormez, maintenant, lui souffla-t-il.

Sweeney n’avait pas d’autre choix : son corps lui paraissait immatériel.

— J’ai eu un orgasme, remarqua-t-elle, étonnée.

— Je sais, dit Richard, avec un rire de gorge.

Elle colla son visage contre la poitrine de son compagnon, le respira profondément. Après quoi elle s’endormit, comme une enfant.

Richard repoussa la couverture : il parvenait à peine à respirer, tant il faisait chaud dans l’appartement. Il transpirait à grosses gouttes. De plus, il était couché sur Sweeney, ce qui entretenait son désir. Ces préliminaires, d’un érotisme inouï, l’avaient laissé sur sa faim et il se trouvait encore dans un état d’excitation insensé. Richard s’amusa du fait qu’une telle frustration pût générer un plaisir aussi vif. Il eût suffi que Sweeney l’effleure pour qu’il jouisse.

Le milliardaire se refusait à tirer avantage de sa faiblesse, aussi s’était-il retenu de lui faire l’amour. Cette histoire d’hypothermie l’inquiétait par ailleurs. Il l’avait dénudée, puis s’était déshabillé à son tour, sachant que seul un contact charnel saurait la réchauffer. Richard était décidé à emmener Sweeney chez le médecin dès son réveil. La jeune femme lui était devenue très précieuse en quelques jours. La pensée qu’elle pût être malade lui était insupportable.

Sweeney était baignée de sueur – leurs deux sueurs. Il avait eu raison de ses convulsions, mais la chaleur torride qui régnait dans l’appartement l’avait amené au bord de l’évanouissement. Il se leva, trouva le thermostat et baissa le chauffage de dix degrés.

Assoiffé, il alla boire deux grands verres d’eau à la cuisine. Il aurait volontiers pris une douche, mais il se refusait à laisser Sweeney seule, de crainte qu’elle ne s’éveille et ne le trouve pas auprès d’elle.

Sa jouissance l’avait surprise. Sans doute vivait-elle comme une ascète depuis plusieurs années, pensa-t-il. Elle n’avait dû connaître que des expériences sexuelles brèves et peu satisfaisantes, avant de tirer un trait sur la chose et de se réfugier dans la création. La jeune femme avait cependant répondu à ses avances et il se réjouissait de sa bonne fortune, préférant ne pas se poser trop de questions.

Il retourna dans le salon et veilla sur elle. Il avait tellement chaud qu’il ne put se résoudre à se rhabiller.

Lors de sa précédente visite, il n’avait pas prêté attention au décor, n’ayant eu d’yeux que pour l’occupante des lieux. Il regarda à présent autour de lui. Sweeney aimait les meubles fonctionnels, traditionnels. Son sens de l’esthétique transparaissait dans le choix des couleurs : une coupe en émail bleu placée de façon à capter la lumière du jour, un vase vert pâle, rempli de tulipes rouges, un tapis pourpre, sous un fauteuil en acajou. Et toute cette végétation ! songea Richard. Sans doute Sweeney avait-elle la main verte. Les plantes, luxuriantes, étaient toutes en fleurs : une symphonie de jaunes, de roses, de rouges.

L’artiste possédait une grande bibliothèque. Richard avisa une pile de livres sur la table basse et en prit un. Sur la piste des fantômes, lut-il. Il en examina un autre : Les Phénomènes surnaturels. Cet intérêt pour le paranormal l’étonna.

Un troisième ouvrage, intitulé En contact avec les esprits, lui arracha un sourire. De même que Les Fantômes parmi nous. Sweeney était manifestement fascinée par les revenants.

Richard s’intéressait lui-même au phénomène. À la mort de son grand-père, il avait passé une semaine dans la maison de famille. Durant ces huit jours, il avait senti la présence de son aïeul dans les lieux. Une présence presque palpable.

Il reposa les livres et regarda Sweeney. Elle dormait profondément, une main glissée sous sa joue. Ses lèvres, ainsi que le bout de ses doigts, avaient retrouvé leur couleur.

Il se rappela combien elle était frigorifiée à son arrivée. Qu’est-ce qui avait provoqué ce froid extraordinaire chez elle ? Il se fit de nouveau la promesse de l’accompagner chez un médecin sans tarder.

Sweeney dormit plus d’une heure. Lorsqu’elle commença à s’agiter, Richard la rejoignit sous la couverture. Elle avait les cuisses musclées – et les seins tendres. Son compagnon se retint de les palper. Il brûlait d’envie de la dévêtir totalement, de la caresser, mais s’il s’engageait dans cette voie, il ne pourrait plus se maîtriser.

La jeune femme remua, puis fronça les sourcils, comme contrariée de se réveiller. Richard guetta son expression avec émotion. Sweeney allait se souvenir de lui. De leur échange brûlant. Nerveux, inquiet, il se demanda quels seraient ses premiers mots.

Elle s’étira, puis elle se lova contre Richard, qui serra les dents. Elle battit des paupières, posa sur lui des yeux ensommeillés.

— Bonjour, balbutia-t-elle avec un sourire béat.

Sur ce, elle cilla plusieurs fois, fixa son compagnon et se figea entre ses bras.

— Oh, mon Dieu ! s’exclama-t-elle.

Avec un petit rire, Richard embrassa sa tempe.

— Pas de panique, dit-il.

Il ne tenait pas à prendre un coup de genou dans les testicules, même involontaire.

Sweeney avait le visage écarlate.

— Nous,… Je…, lâcha-t-elle, incapable de le regarder en face.

Elle posa la main sur la poitrine de Richard, la retira vivement, comme brûlée au contact de sa peau nue.

— Tout va bien, Sweeney. Il ne s’est rien passé.

— Tu parles, oui ! rétorqua-t-elle.

Elle rougit de nouveau.

— Je t’ai seulement fait jouir pour te réchauffer.

— Cela a un nom, remarqua-t-elle d’un ton sec.

— C’était innocent, Sweeney. Sinon, je ne serais pas frustré comme je le suis.

Il caressa le front de la jeune femme.

— Il faut qu’on parle, déclara-t-il.

Elle resta un instant silencieuse. L’air buté.

— D’accord. Mais laisse-moi m’habiller, refaire du café…

— Non. Je préfère te garder près de moi.

Richard ne tenait pas à ce que Sweeney reprenne ses distances. Il voulait qu’elle éclaircisse certains points. Il lui caressa le dos et elle se détendit.

Sweeney dut sentir la détermination de Richard, car elle ne tenta plus de se lever.

— Soit tu m’expliques l’origine de ces crises d’hypothermie, soit je t’emmène chez un médecin. Même si je dois t’enrouler dans cette couverture et te porter comme ça, toute nue !

Sweeney soupira, agacée. Elle fixa un point devant elle. Richard jugea sa réticence éloquente : il y avait bien quelque chose qui provoquait ces réactions extrêmes chez elle.

— Richard…

— Sweeney ! intima-t-il, avec une impatience feinte.

— Très bien, déclara-t-elle abruptement. J’ai souvent froid, mais c’est la première fois que je suis dans cet état-là.

— Pire qu’avant-hier ?

— Oui, répondit-elle. Et à chaque fois, j’avais eu une crise de somnambulisme la nuit d’avant.

— Et ?

Sweeney parut sur le point de se rebeller. Elle dut toutefois deviner que son amant ne fléchirait pas, car elle capitula presque aussitôt.

— Et j’ai peint ces nuits-là, dans un état d’inconscience. Au matin, je ne me souvenais de rien.

Intéressant, songea-t-il. Il observa Sweeney avec attention.

— Pourquoi cela te met-il dans un état pareil ? demanda-t-il.

Sweeney se mordit la lèvre.

— J’achetais souvent des hot-dogs à un vieux monsieur, qui avait une boutique ambulante, près de la galerie. Je l’aimais bien. Avant-hier, à mon réveil, j’ai découvert que j’avais peint un tableau durant la nuit. Un tableau qui représentait la mort de ce marchand.

— Étrange.

— Oui. D’autant plus que j’ai appris ensuite que le vieillard était réellement décédé. Je l’avais vu la veille !

Richard ne sut que répondre. Coïncidence malheureuse ? Cet événement défiait la logique, mais pourquoi ne pas le considérer comme un hasard ?

— Et ce matin ? demanda-t-il.

Sweeney eut un rire grave.

— Ce matin, je me suis aperçue que j’avais encore peint un tableau pendant la nuit. J’ai aussitôt pensé qu’une personne de ma connaissance venait de mourir. Je n’osais pas regarder la toile. J’étais terrifiée à l’idée qu’il s’agisse de toi !

Les implications de cet aveu inconscient ébranlèrent Richard, qui se fit violence pour ne pas étreindre la jeune femme avec passion. Si d’aventure il posait la main sur elle, il ne pourrait plus la lâcher. Sweeney le couva d’un regard ému.

— C’est moi que tu as peint ? demanda-t-il, s’efforçant de conserver un ton neutre.

— Non. J’ai peint des chaussures. Deux chaussures. Un soulier d’homme et un escarpin.

Richard sourit de cette incongruité.

— Des chaussures, vraiment ? Tu pourrais lancer une nouvelle mode. Le public va crier au génie : tu penses, deux souliers dépareillés !

Sweeney eut une expression méprisante.

— Oui, le même public qui achète un Van Dern et qui ne voit pas la différence avec les gribouillis d’un chimpanzé !

Cette sortie amusa Richard et détendit l’atmosphère. Il se sentit de nouveau capable de poser la main sur Sweeney sans risque. Il lui caressa les cheveux, considéra sa prochaine question.

— Maintenant, explique-moi pourquoi tu penses que je serais mort si c’était moi que tu avais peint.

Sweeney parut affolée.

— Tu vas croire que je suis folle, dit-elle.

— Certainement pas ! Mais je ne bougerai pas d’ici tant que tu ne m’auras pas avoué ce qui se passe.

Sweeney se rembrunit.

— Depuis un an, environ, il m’arrive des choses étranges, déclara-t-elle.

— C’est-à-dire ?

— Oh, les feux passent au rouge quand je m’apprête à traverser, des places de parking se libèrent dès que je veux me garer.

Richard haussa les sourcils.

— C’est pratique, remarqua-t-il !

Il se souvint alors de la rapidité avec laquelle ils avaient effectué le trajet entre la galerie et l’appartement de Sweeney. Les autos s’écartaient sur leur passage de façon presque miraculeuse. Richard en avait pris ombrage tant il avait espéré passer plus de temps avec elle.

— Oui, jusque-là tout va bien. Et puis mes plantes sont resplendissantes. Sans que je fasse quoi que ce soit pour cela !

Sweeney lui montra un cactus du doigt, orné de jolies fleurs roses.

— C’est la sixième fois qu’il fleurit cette année.

Richard se frotta la mâchoire.

— J’imagine que c’est inhabituel.

— Il n’avait jamais fleuri avant.

— Quoi d’autre ?

Il devait y avoir autre chose. Ces petites bizarreries ne pouvaient perturber à ce point Sweeney.

La jeune femme dévisagea Richard, l’air sinistre.

— Je vois des fantômes, murmura-t-elle.

Les couleurs du crime
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